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"Notre utopie gauloise est solide"
© Manuel Cohen / Manuel Cohen via AFP

"Notre utopie gauloise est solide"

Humeur

Par Laurent Olivier

Publié le

Laurent Olivier, archéologue et historien de la Gaule, conservateur de l’archéologie celtique et gauloise au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, revient sur notre héritage gaulois.

Ainsi, nous nous retrouvons seuls, une fois encore. Nous sommes seuls, face à la bêtise et au fanatisme, ou du moins si peu soutenus par ceux qui, autour de nous, devraient être à nos côtés pour s’en garder eux-mêmes. C’est triste ; c’est révoltant même, mais cela ne devrait pas nous inquiéter. Seuls, face à l’adversité, défendant une liberté incomprise de la plupart, nous l’avons souvent été – et ce depuis des siècles, si ce n’est des millénaires.

La Gaule et la liberté

Depuis toujours, ce bout d’Europe qui correspond à la France a été une terre de passages et de migrations. Nous sommes le résultat provisoire de ce mélange. Mais cela ne signifie pas que nous soyons dépourvus d’héritage. Cela ne veut pas dire que cet héritage de pensée que nous avons reçu, souvent à notre insu d’ailleurs, soit nécessairement brouillé ou fictif : en un mot illusoire, ou surtout douteux.

Car quelque chose s’est transmis de la Gaule jusqu’à nous et l’avons fait nôtre. Nous l’avons assimilé, que nous soyons d’ici ou venus d’ailleurs, de cette couleur de peau-ci ou d’une autre. La Gaule est une idée et non pas un pays, ni encore moins un peuple : l’esprit de la liberté n’est pas un privilège de race ou de classe ; c’est un idéal commun – un rêve, diraient certains.

"En Gaule, rien ne se décide qui n’ait été approuvé collectivement"

"Je me suis battu avec vous pour notre liberté commune", a dit Vercingétorix au soir de sa défaite. La Gaule ne souhaite en effet dominer ni asservir personne ; en revanche, elle entend rester libre, selon les lois qu’elle s’est fixée.
En Gaule, les étrangers sont accueillis avec bienveillance et curiosité. On accepte leur différence, car ici, les mœurs et les opinions sont fondées sur la liberté individuelle. En Gaule, les filles sortent avec qui leur plaît et les femmes n’ont pas à se cacher. Elles décident pour elles-mêmes, à l’égal des hommes. Certaines gouvernent, tranchent les conflits internationaux, et mènent parfois les armées à la bataille.

En Gaule, rien ne se décide qui n’ait été approuvé collectivement. Alors, on discute et on argumente sans cesse, il est vrai ; on écoute et on analyse, plaçant l’intelligence, la sensibilité et l’éloquence au-dessus des autres qualités. On se réunit pour chaque occasion et on débat ; et puis on décide et on agit ensemble – jusqu’au sacrifice de soi s’il le faut.

En Gaule, les puissants sont les garants de l’aisance et du bien-être de tous. Ils en sont comptables et le peuple les éloigne s’ils s’avèrent incapables ou indignes d’exercer cette responsabilité qu’il leur a confiée. Car en Gaule la richesse n’est pas faite pour être capitalisée ni accaparée ; elle est destinée à être dissipée et répandue au plus grand nombre.

En Gaule, la religion se confond avec la sagesse et la science. Le divin est en toutes choses, et le monde un mystère. Croire signifie chercher à comprendre et non pas craindre et se soumettre. Ceux qui enseignent les choses divines sont des savants et des penseurs. Ils ont pour charge de faire régner la justice, qui est au-dessus des passions humaines.

"Ils sont, de par le monde, notre famille gauloise"

Nous avons reçu cette utopie en héritage. Naturellement, le monde est injuste, inégalitaire et oppressant. Mais nous sommes portés par cette espérance et nous nous retrouvons lorsque nos libertés gauloises sont menacées. Réfractaires, nous le sommes en effet : à l’injustice et à la domination. Ne soyons pas inquiets : notre utopie gauloise est solide ; elle a résisté à plus de deux mille ans de tentatives de sujétion et de mise au pas. Et puis nous ne sommes pas seuls ; notre cœur est avec toutes celles et tous ceux qui se battent avec courage contre l’ignorance et la soumission. Ils sont, de par le monde, notre famille gauloise.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne